Erric-Emmanuel SCHMITT
Un souvenir …
ll y a un peu plus de vingt ans, dit Eric-Emmanuel Schmitt, j’ai rencontré l’avocat d’un tueur en série célèbre, qui avait violé, puis assassiné plusieurs jeunes femmes.
Cet avocat était effondré parce que durant tout le procès, l’accusé n’avait manifesté ni remords, ni regret. Les proches des victimes avaient donc subi une deuxième violence, celle de l’indifférence du tueur.
A l’issue de ce procès qui avait conduit l’homme à la perpétuité, ces gens étaient rentrés chez eux avec une douleur encore plus grande, sauf une femme, qui avait réagi totalement différemment. Elle avait débuté une relation avec l’assassin de sa fille en allant le visiter régulièrement en prison.
Cet avocat pénaliste m’avait dit : Je ne comprends pas. Que cherche-t-elle ?
J’avais immédiatement eu une intuition et vingt ans plus tard, comme l’histoire ne m’a jamais quitté, je l’ai mis en forme et j’ai écrit La vengeance du pardon.
Eric-Emmanuel Schmitt, pour vous, qu’est-ce que le pardon?
Le pardon, c’est dire à l’autre : je ne te réduis pas au mal que tu m’as fait ; je sais que tu es
capable du pire et du meilleur ; je ne vais pas te pétrifier dans un seul de tes actes, même si
c’est un acte mauvais qui me concerne.
Le pardon, c’est refuser de simplifier l’autre, refuser même de l’essentialiser, c’est-à-dire, par
exemple, de le transformer en « un mauvais », parce qu’il a fait un acte mauvais. Il y a des gens
qui font plus souvent des actes bons ; il y a des gens qui font plus souvent des actes mauvais,
mais il n’y a pas de « bons » et de « mauvais ». C’est l’acte lui-même qui est bon ou mauvais.
Le pardon n’est pas d’emblée religieux ou même spirituel. C’est un thème profondément humaniste même s’il a souvent pris des couleurs religieuses.
On pardonne souvent pour faire la paix avec l’autre, bien sûr, mais on pardonne aussi pour
avoir la paix en soi. Il y a quelque chose d’égoïste et d’altruiste à la fois. Il y a quelque
chose d’altruiste, puisque c’est dire à l’autre : je te rends ta liberté complète, je te rends ton humanité complète, je ne te réduis pas. Et puis il y a un côté égoïste qui consiste à dire :
je veux me débarrasser de la douleur que j’éprouve, des sentiments négatifs que j’éprouve,
de la haine que j’éprouve.
Donc on peut aussi pardonner pour soi. On peut pardonner pour sa propre paix, pour arriver à la
paix en soi.